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Formation des enseignants : « Le projet des nouvelles écoles normales est bien dans la filiation de celles instituées au XIXᵉ siècle par leur centralisation par l’Etat central et pour l’Etat central »

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Un document qui vient de « fuiter » du ministère de l’éducation nationale prévoit la création des « écoles normales supérieures du professorat » (ENSP). Présentées comme « les écoles normales du XXIe siècle », ces ENSP sont bien dans la filiation des écoles normales qui ont été instituées au XIXe siècle par au moins un de leurs aspects essentiels, à savoir leur centralisation par l’Etat central et pour l’Etat central.
La question des écoles normales (de la formation des corps enseignants publics) et de leur administration centralisée n’est pas une question anecdotique ou secondaire. Elle est au contraire au cœur de la singularité de l’école centralisée française, que Jules Ferry n’inaugure pas, mais qu’il parachève.
Napoléon avait confié à l’Ecole normale supérieure d’Ulm le soin de former l’élite des professeurs de lycées de garçons dont il avait besoin – sa priorité des priorités étant la formation des cadres administratifs et militaires dans les lycées ; et il avait créé l’inspection générale pour surveiller de façon centralisée les établissements secondaires. François Guizot avait généralisé les écoles normales primaires d’instituteurs, et il avait créé une puissante inspection primaire d’Etat.
Jules Ferry et la IIIe République ont à l’évidence poursuivi et amplifié ce mouvement. Lorsque Paul Bert légifère avec le soutien de Ferry, en 1879, pour généraliser les écoles normales primaires de filles, les écoles normales de garçons étaient déjà généralisées dans un cadre départemental et il existait une quinzaine d’écoles normales de filles. Mais, comme l’a montré depuis longtemps Gilles Laprévote, le dispositif législatif et réglementaire ferryste « marque la prise en main des écoles normales par le pouvoir central, leur réorganisation uniforme et, au sens propre, leur normalisation ».
Ferry achève le dispositif centralisateur en généralisant les écoles normales primaires d’institutrices, en créant les écoles normales supérieures de Saint-Cloud et Fontenay (pour former les professeurs d’écoles normales et les inspecteurs primaires) et en instituant l’Ecole normale supérieure de Sèvres chargée de former le corps d’élite des professeurs de l’enseignement secondaire féminin nouvellement créé.
Jules Ferry a expliqué lui-même très clairement les raisons fondamentalement politiques de l’institution des écoles normales, lorsqu’il a été question, en 1879, de généraliser les écoles normales de filles, face à des députés républicains qui n’en saisissaient pas bien l’enjeu : « L’enseignement des filles, comme tout enseignement, c’est le bien de l’Etat, c’est le domaine de l’Etat. Mais il n’y aura d’action sérieuse, d’inspection effective que lorsque l’Etat aura constitué les écoles normales de filles. Les cours normaux [des externats, pas des internats] forment d’honorables individualités enseignantes : les écoles normales peuvent seules former un corps enseignant. Et voilà la grande raison, et voilà le véritable mot de l’affaire. »
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