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Des robinets à sec en Afrique du Sud à deux mois des élections

« On veut de l’électricité et de quoi se laver ! » La scène est inhabituelle en Afrique du Sud. Mardi 12 mars, une cinquantaine de résidents d’un quartier coquet de Johannesburg ont confisqué un coin de rue pour déverser leur colère. Dix jours qu’ils n’ont plus d’eau au robinet. Plus d’eau pour laver les enfants, pour vider les toilettes, pour la cuisine et les lessives. Et personne pour leur dire quand le cauchemar prendra fin.
La protestation est polie, on y croise surtout des femmes, des enfants et des personnes âgées. Une foule issue de cette classe moyenne majoritairement blanche qui habite de petites maisons proprettes avec un jardin souvent agrémenté d’une piscine, le tout protégé par de hauts murs surmontés d’une clôture électrique. Voir cette frange de la population brandir des pancartes est un phénomène nouveau à Johannesburg. Il révèle un point de bascule : les crises multiples qui frappent l’Afrique du Sud n’épargnent plus personne.
Aux coupures d’électricité qui font désormais partie du quotidien s’ajoutent des coupures d’eau, de plus en plus fréquentes, jusque dans les quartiers aisés de la ville la plus riche d’Afrique. « Est-ce qu’on en est vraiment arrivés là ? Si les gens faisaient leur travail, s’ils s’occupaient des infrastructures… Mais au lieu de ça, on détourne de l’argent, il n’y a pas de transparence, pas de communication », s’étrangle Niamh Faherty.
Mère célibataire d’un petit garçon de 3 ans, elle fait partie de ceux qui ont mobilisé le quartier de Blairgowrie pour battre le pavé. « Sans électricité on peut survivre, mais pas sans eau », gronde-t-elle. Comme tous les habitants rassemblés ce jour-là, elle ne sait pas vraiment pourquoi ce service n’est toujours pas revenu. « Ce sont excuses sur excuses. A chaque fois qu’on demande une réponse, quelqu’un blâme quelqu’un d’autre. »
Officiellement, le problème est apparu après qu’un éclair a frappé une station de pompage. Une première panne d’électricité, puis une deuxième et une troisième ont achevé de mettre à terre le système de remplissage des réservoirs qui alimentent une partie de Johannesburg. Depuis, l’électricité est revenue mais ni la mairie, ni la régie d’eau de la ville, ni celle de la province ne sont en mesure d’expliquer pourquoi une partie des réservoirs peinent à se remplir, au point que certains quartiers restent à sec.
Une chose est sûre : les problèmes d’alimentation en eau se multiplient à travers le pays. A Durban, une partie de la population ne boit plus l’eau du robinet de peur de tomber malade. A Nelson Mandela Bay, c’est la sécheresse qui laisse régulièrement les robinets à sec – le phénomène, récurrent en Afrique du Sud, est exacerbé par le réchauffement climatique.
En dehors des grandes villes, la situation est souvent plus désastreuse encore. « Dans les campagnes, les gens peuvent rester des semaines, parfois des mois, sans eau ni électricité », précise la spécialiste en gestion des ressources hydrauliques Anja du Plessis, professeure à l’Université d’Afrique du Sud, à Pretoria. A Johannesburg pourtant, les pluies n’ont pas manqué et le barrage qui alimente la ville est bien rempli. Seulement, le système craque de tous côtés. Au moins 40 % de l’eau potable est perdue avant d’atteindre les robinets, estime Anja du Plessis.
Les coupures d’électricité récurrentes mettent sous pression des infrastructures délabrées qui peinaient déjà à suivre la croissance de la population. Les stations de pompage fatiguent et les tuyaux rompent sous l’effet des variations de pression incessantes. Conséquence : le système est criblé de fuites et il n’est pas rare de voir des geysers d’eau sur le bord des routes ou des ouvriers s’agiter pour colmater une brèche le long d’une chaussée éventrée.
« C’est de pire en pire et ça ne va pas s’arranger. Depuis 2022, on entend parler de coupures d’eau tous les jours. La situation a dégénéré rapidement et ce ne sont pas seulement les infrastructures qui sont défaillantes, c’est tout le système, parce que les gens en poste n’ont pas forcément les qualifications pour gérer ces réseaux complexes. Si vous mettez bout à bout les infrastructures délabrées, une gestion incompétente et l’absence de volonté politique pour essayer d’y remédier, vous vous retrouvez face au problème que nous avons à Johannesburg », résume Anja du Plessis.
Agrippée au micro depuis son coin de trottoir de Blairgowrie, Niamh Faherty continue de haranguer la foule. « Si nous sommes dans cette situation ici, imaginez ce que subissent les quartiers moins favorisés ! », se désole-t-elle.
Elle ne croit pas si bien dire. Quelques jours plus tard, à 30 km de là, au sud de Johannesburg, des résidents de Soweto convergent devant un restaurant, les bras chargés de jerricans. Quatre jours qu’ils n’ont plus d’eau. Encore. C’était déjà le cas deux semaines plus tôt. Et le mois dernier aussi. Les camions-citernes censés sillonner les rues sont aléatoires. Personne ne sait exactement où et quand les trouver. Comme à Blairgowrie, la communauté tient le coup à grand renfort de solidarité. Ici, pas de piscine à ouvrir aux voisins pour laver les enfants, mais la propriétaire d’un restaurant disposant d’un forage ravitaille tout le monde gracieusement.
Autour du tuyau d’arrosage qui passe d’un bidon à l’autre, les habitants désignent tous le même coupable. « Notre ANC là, c’est très mauvais… On devrait voter pour les autres pour une fois… On veut que ça change ! », souffle un résident. Aux manettes depuis la fin de l’apartheid, en 1994, le Congrès national africain (ANC) a longtemps régné en maître sur Soweto comme sur le reste du pays. Mais pour la première fois depuis l’arrivée au pouvoir de Nelson Mandela, ses héritiers sont menacés de perdre leur majorité aux élections prévues le 29 mai.
Dans cette rue de Soweto où se dresse encore la maison historique de Nelson Mandela, la colère gronde. « Trente ans qu’ils sont au pouvoir et ils n’ont rien fait pour les gens ! Au contraire, ça empire. Ils prétendent qu’on est unis mais vous en voyez, vous, des responsables de l’ANC venir chercher de l’eau ? », rouspète Trévor, 47 ans, venu avec son fils de 3 ans. « Les gens souffrent depuis 1994. Au moins avant, on avait de l’eau », va jusqu’à regretter un agent de sécurité.
A trois kilomètres de là, le conseiller municipal du quartier fait le pied de grue devant un dépôt de la régie d’eau de la ville pour réquisitionner des camions-citernes. Elu de l’ANC, Lefa Molise reconnaît qu’il est à peu près aussi impuissant que ses administrés. « Honnêtement, personne n’est capable de vous expliquer pourquoi il n’y a pas d’eau. Quand on répare quelque part, ça casse ailleurs. La maintenance n’est peut-être pas optimale », euphémise-t-il.
Lui aussi se lamente du « manque de volonté » pour réparer des infrastructures qui s’effondrent, avant de se reprendre quand on évoque la perspective des élections : « Les gens blâment injustement L’ANC. Le parti est accablé de reproches même quand il n’y est pour rien. » Quoi qu’il en soit, la colère est réelle. Lefa Molise le sait. « On est inquiets, inquiets mais pas effrayés », sourit-il derrière d’imposantes lunettes de soleil.
Lundi 18 mars, un éclair a de nouveau frappé une station de pompage, obligeant la ville de Johannesburg à implorer ses résidents d’utiliser l’eau avec parcimonie. Deux jours plus tôt, à une heure de là, la capitale, Pretoria, assurait que la régie d’eau de la province était « au bord de l’effondrement ».
Mathilde Boussion(Johannesburg, correspondance)
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